L'animal objet de consommation


"L'importance de l'animal est telle qu'il détermine des civilisations"
(Pierre Rabhi - Nous ne sommes plus hier, alternative non violentes)

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L'animal objet :

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La délinquance dans l'assiette
Par Camille KOERING, docteur en droit.

Industriel ou artisanal, le gavage des oies et canards à des fins de production de foie gras est une infraction pénale. Au mieux, il relève de l'article R. 654-1 alinéa 1 er du Code pénal réprimant «  le fait, sans nécessité , publiquement ou non, d'exercer volontairement des mauvais traitements envers un animal domestique ou apprivoisé ou tenu en captivité... », puni d'une amende de 5.000 FF. Au pire, il entre dans le champ de l'article 521-1 du même code, punissant d'une peine de deux ans d'emprisonnement et de 200.000 FF d'amende, «  le fait, publiquement ou non, d'exercer des sévices graves ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité  ».

Compte tenu de ses effets sur les oiseaux qui en sont victimes, la technique du gavage appartient indubitablement à la catégorie des mauvais traitements comme à celle des sévices graves et actes de cruauté. Un rapport réalisé à la demande de la Commission européenne par le Comité Scientifique de la santé et du bien-être animal sur la protection des palmipèdes « à foie gras » , adopté le 22 décembre 1998 , et demeuré étrangement confidentiel, le reconnaît d'ailleurs implicitement en ce qu'il admet expressément que la pratique du gavage constitue une cause de souffrances et de blessures graves parfois mortelles, expliquant ainsi l'adoption, par la Grande-Bretagne, d'une loi interdisant le gavage. Qu'il s'agisse de l'acte de gavage en soi ou des conditions de détention des palmipèdes « à foie gras », l'on ne saurait, sans mentir, nier la réalité des mauvais traitements et des actes de cruauté infligés aux volatiles.

            1° L'acte de gavage consiste dans l'administration forcée d'aliments très énergétiques et déséquilibrés dans des quantités éminemment anormales : en 45 à 60 secondes, ou, grâce à des techniques plus « modernes », en 2 ou 3 secondes, l'animal ingurgite, trois fois par jour, 450 grammes d'aliments, soit, pour un homme de 70 kilos, trois fois 7,6 kilos de pâtes en quelques secondes. L'acte est opéré dans des conditions barbares puisque «  la personne qui initie le gavage saisit le cou de l'oiseau, immobilise ses ailes et le traîne jusqu'à un tuyau d'alimentation long de 20 à 30 cm, qui est alors entièrement enfoncé dans le corps de l'animal, permettant ainsi de déclencher la procédure de propulsion des aliments...  » (article 3-2 annexe I). Le terme propulsion s'impose puisque l'aberrante ration est, rappelons-le, administrée à l'animal au mieux en 45 à 60 secondes, au pire en 2 à 3 secondes. La cadence présente, il est vrai, l'insigne avantage de la rentabilité : 350 canards peuvent être gavés en une heure. Le rapport, pourtant peu suspect de partialité compte tenu de ses recommandations finales,

•  souligne que «  l'insertion et le retrait du tuyau peuvent provoquer des blessures à l'oropharynx ou à l'oesophage du palmipède et donc un risque de mort  » (articles 3-2 annexe I et 8-1-II-6 du rapport),

•  admet que «  la quantité importante d'aliments intubés à grande vitesse au cours du procédé de gavage provoque immédiatement une distension de l'oesophage, une augmentation de la production thermique et du halètement, et l'excrétion de matières fécales semi-liquides » à l'origine de graves douleurs pour l'animal (articles 5-4-6 annexe I, 8-1-I-9 et 8-1-II-7 du rapport)

•  et constate la présence de nombreuses fractures des os, notamment au niveau des ailes et, plus particulièrement, au niveau de l'humérus (article 5-4-6 annexe I), conséquences de manipulations brutales de l'animal.

De plus, le rapport rappelle opportunément que le gavage des oiseaux implique, parfois, le débecquage de l'animal, opération qui consiste, soit à sectionner le crochet de la partie supérieure du bec dépassant la mandibule laissée intacte, soit à insérer un anneau à travers le bec. Or, le rapport relève que «  le bec du canard [étant] richement innervé, l'insertion d'un anneau à travers le bec serait douloureuse au moment de l'intervention et pourrait provoquer un névrome, lui-même source de douleur à long terme  » (article 5-2 annexe I). L'ablation du crochet de la mandibule supérieure s'avère dès lors nécessairement plus douloureuse encore.

            2° A ces actes cruels en soi s'ajoutent ceux inhérents aux conditions de détention des animaux lorsque ceux-ci appartiennent aux nombreuses victimes de l'industrie alimentaire, soit 80% des palmipèdes « à foie gras ». Le rapport européen indique ainsi, notamment, que les palmipèdes «  sont gardés dans des cages individuelles de petites dimensions, munies d'un plancher en grillage métallique ou plastique. Pendant les quinze jours de gavage, ces petites cages ne permettent aux canards ni de se mettre debout, ni de se retourner, ni de battre des ailes  » ; «  un pourcentage important de canards gavés logés en cages individuelles présentent des lésions du sternum et des fracture des os, constatées à l'abattoir ... » ; «  au cours de la période de gavage, les palmipèdes sont parfois gardés dans une quasi obscurité, sauf au moment du gavage, ce qui empêche tout comportement normal de recherche et de curiosité et tend à éliminer le niveau normal d'exercice, le résultat final étant une mauvaise protection du palmipède  » ( article 8-1-III-2, 8-1-III-3 et 8-1-III-6 du rapport).

            L'on conclura en précisant que le foie gras est un foie atteint d'une maladie gravement pathologique : la « stéatose hépatique ». Cette maladie consiste, notamment, dans «  une surcharge de graisses et entraîne une profonde altération du foie et de ses fonctions : diminution de la sécrétion de bile, multiplication par 10 de la teneur en graisses, division par deux de la teneur en eau, anomalie des examens biochimiques etc.  ». Concrètement, trois jours de gavage supplémentaires et l'animal mourrait des suites de lésions des vaisseaux, d'hémorragies localisées et d'une jaunisse. A cet égard, il est essentiel de souligner que, contrairement aux affirmations des producteurs de foie gras et autres personnes intéressées à ce barbare mais lucratif commerce, la stéatose hépatique n'est pas un phénomène physiologique naturel lié au caractère migratoire des oiseaux. Bien au contraire, il a été scientifiquement démontré que «  les espèces migratrices telles que l'oie sauvage ne stockent pas leur énergie dans leur foie, mais autour de celui-ci et en très faible quantité  »(1) . Or, ni l'oie domestique ni le canard mulard, donateurs malgré eux de leur foie et de leur vie, ne présentent de caractères génétiques migratoires.

            Une fois encore, l'homme bafoue la vie animale à des fins purement égoïstes, mercantiles et néfastes pour la santé ; une fois encore, la loi qui le réprime fait montre de son inefficacité. Le foie gras est le produit malade d'une infraction pénale ; mais qu'importe, il est vrai, puisque sa victime est un animal, ses auteurs des créateurs de richesse et ses receleurs des consommateurs.

 

Publié dans Libération, jeudi 20 décembre 2001, Rebonds, p. 6

(1) Témoignage scientifique d'Alain TAMISIER, 24 avril 1999, cité par la LFDA.

 

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